Dès l’entrée de l’exposition à Orsay, Gustave Caillebotte, depuis son cadre doré, plante son regard dans le mien et ne me lâche plus. De salle en salle, de portraits en autoportraits, ses yeux me suivent. Il est partout, tantôt jeune et rieur, tantôt grave et fatigué.
Alors que je suis venue pour lui, sa vie, son œuvre, en savoir plus sur l’artiste horticulteur régatier, c’est lui qui semble m’interroger : Et vous, qui êtes-vous chère visiteuse, vous qui détaillez ma vie dispersée en morceaux sur les murs?
Aurait-il aimé, Gustave, que je me promène parmi ses croquis, ses études et ses tableaux qu’il ne jugeait pas nécessaires d’exposer?
Il ne savait pas non plus que je regarderai ses plans de bateaux par-dessus son épaule, et que je lirai ses lettres à Monet regrettant de ne pas connaître celles écrites à Charlotte.
Il n’imaginait sans doute pas qu’au Cercle de la Voile de Paris, les femmes seraient un jour admises et que 130 ans après sa disparition, je prendrai sa fonction au sein du Conseil. J’aimerais bien savoir ce qu’il aurait pensé.
Personnage attachant ce Caillebotte, homme pressé aux multiples talents. Que de découvertes depuis que je suis son parcours.
L’architecte naval me passionne, le philatéliste m’intrigue tandis que l’horticulteur me parle.
Tout au long de l’exposition j’écoute. J’entends des parquets qu’on racle, des boules de billard inexistantes qui claquent quand même, des cartes qui glissent sur le tapis vert, des bribes de conversations dans un salon et des voiles qui claquent dans une salle violemment blanche.
J’ai surpris une jeune femme détaillant les touches de pinceau, le nez presque collé à une toile, me disant : comment faisait-il? À ses côtés, j’observais le profil d’un nez.
Aurait-il trouvé cela amusant, Gustave, deux dames penchées sur son tableau?
Depuis mon époque, je vous remercie monsieur Caillebotte, pour les rencontres et les échanges qui me sont proposés.
On m’a demandé quel était mon tableau préféré ? Des bateaux ?
Curieusement non. C’est le Sur le Pont de l’Europe mon favori.
Pour ses hommes de dos, ces silhouettes chapeautées, son graphisme et ses couleurs. Pour les gris bleutés, parfois mauves, violets ou roses. Des couleurs d’iris comme son premier bateau qu’il avait nommé du nom de cette fleur dite l’orchidée du pauvre, lui Gustave le collectionneur de fleurs.
Après la visite d’une exposition, on espère des réponses. Au contraire, ma liste de questions s’allonge monsieur Caillebotte.
Pourquoi des titres de tableaux aussi banals que Intérieur, femme lisant ou Régates à Argenteuil quand on choisit des noms aussi originaux pour ses yachts?
Comment les reconnaître maintenant ces bateaux sur vos toiles?
Qui sont ces personnages posant dans votre canapé, et le monsieur du café ?
Auriez-vous délaissé la Seine et régaté à la mer, comme vous l’aviez entrepris juste avant de nous quitter prématurément ?
Il me plaît de penser que parfois, depuis les nuages, Gustave nous envoie des messages en couleurs. Laverait-il sa palette dans la Seine quand on y navigue?
Un soir, au milieu d’un dîner d’équipages, le ciel est devenu rose puis mauve tirant vers le gris, les couleurs se sont liquéfiées dans le fleuve. Quelqu’un a dit: Regardez, c’est beau. Tout le monde s’est levé d’un bloc, pour aller admirer le paysage.
Au Cercle de la Voile de Paris, les régatiers ne sont pas blasés, ils s’émerveillent des reflets dans l’eau. Claude Monet, Gustave Caillebotte et tous les autres peintres du Cercle y sont pour beaucoup.
La Seine est belle, elle nous offre des images et des souvenirs que l’on gardera précieusement.
Joyeux Noël !