CVP15096 Newsletter n° 77 Spécial Mini Transat V1 071015

 

Nicolas d’Estais sur « Librairie Cheminant », neuvième à Lanzarote

 

Le récit de sa course par Nicolas. Qui mieux que lui pouvait nous raconter en détail les péripéties de cette première étape et nous dévoiler les difficultés auxquelles il a dû faire face ?
Après 7j 15h 14mn 44s de course haletante entre Douarnenez, l’Espagne, le Portugal et les Canaries, le FRA630 « Librairie Cheminant » et moi avons bouclé la première étape de notre Mini Transat en 9eme position !

Des sentiments partagés à l’arrivée à Lanzarote. Si c’est évidemment la joie d’arriver qui prime sur tout, je n’ai fait que perdre des places depuis la mi-course suite à une voie d’eau survenue au large de Lisbonne. L’objectif initial d’arriver à Lanzarote dans le Top 10 est atteint, mais sans l’accident les choses auraient été bien différentes !

En complément du récit (toujours trop long!), j’ai compilé une petite vidéo avec quelques images de cette première étape. Elle est visible en cliquant sur le lien suivant : https://youtu.be/3jJgdRsecq4

 

  • Une course de vitesse jusqu’au Portugal

 

Mille trois cent milles nautiques (2,400 km) en solitaire : le périple le plus long que le 630 et moi avons accompli depuis nos débuts ensemble – en attendant la deuxième étape de cette Mini Transat. Après un départ en demi-teinte dans la baie de Douarnenez et dans le début du Golfe de Gascogne, j’ai réussi à rattraper le groupe des prototypes de tête.

A l’inverse des courses de préparation en solitaire, j’ai en plus réussi à suivre le rythme imposé par la tête de course jusqu’à la latitude de Lisbonne. Au classement de midi le 24 septembre (quatrième jour de course) je pointe l’étrave du 630 en cinquième position !

 

Ce jour-là j’ai eu l’occasion de discuter avec Jacques Vapillon le photographe de la course embarqué sur le PSP Flamant de la Marine Nationale. Il a eu la très bonne idée d’enregistrer notre échange, retrouvez le fichier en cliquant ICI
Autre baptême : celui des conditions de vent et de mer le long du Portugal : 25 nœuds établis, entre 2 à 3 mètres de houle. Je n’avais jamais tenu des vitesses moyennes aussi fortes pendant aussi longtemps. Etre en haut d’une vague de trois mètres et partir en surf à 15 nœuds sans savoir comment l’atterrissage dans la vague suivante va se dérouler : un sentiment d’euphorie nuancé d’angoisse sans équivalent.
Au moment de l’impact le bateau peut planter dans la vague. Elle passe alors au-dessus du pont et le bateau passe en mode sous-marin. Si l’étrave prend la direction du vent c’est un départ au lof : le bateau se couche, le spi claque et on prend le risque de le déchirer.

Quand à l’inverse le bateau part de l’autre côté c’est bien pire : il empanne et les voiles viennent se gonfler contre le mât et le gréement. La quille pivotante et le matériel se retrouvent alors du mauvais côté. Le bateau se couche, le haut du mât dans l’eau. Malheureusement, en plus d’être très dangereuse pour le matériel, la situation est stable. Si rien ne se passe, rien ne bouge ! Comptez dix à vingt minutes d’effort intense pour récupérer la situation. Heureusement cela ne m’est jamais arrivé!

 

Pour vous donner une idée des figures de style que nous pouvions faire, voici une photo de Luke Berry prise par Jacques Vapillon, embarqué sur le PSP Flamant de la Marine Nationale qui nous a suivi pendant la première étape.
Vous l’aurez compris, pendant ces heures critiques nous n’avons pu que très peu dormir. Mes quelques siestes (17 minutes maximum) se faisaient dehors dans mon cockpit à proximité des écoutes et de la barre au cas où le pilote décrochait. Les quelques secondes nécessaires pour sortir du bateau font souvent la différence entre un petit écart de route – regrettable mais sans conséquence – et une véritable sortie de piste comme décrite ci-dessus, très souvent synonymes de casse matérielle.

 

  • Esprit Mini es-tu là ?

Dans ces périodes délicates les langues se délient à la VHF. Cette radio courte portée (maximum 15km) obligatoire à bord est d’ailleurs le seul moyen dont nous disposons pour discuter avec le monde extérieur.
L’adversité nourrit la solidarité. Les concurrents s’échangent leurs bons procédés, mêmes les skippers qui visent la victoire. Tanguy le Turquais (leader des bateaux de série sur la saison 2015) explique à un concurrent comment vriller ses voiles pour pouvoir aller dormir sous pilote. Axel Tréhin (vainqueur de la Transgascogne et deuxième de l’étape) conseille de son côté son poursuivant direct sur un choix de voile. La veille, Clément Bouyssou m’avait donné la météo que je n’avais pas réussi à capter à la radio.
Cela peut paraître inimaginable pour certains régatiers : imaginez Djokovic passer de l’autre côté du filet pour venir conseiller Federer sur son geste de service. La Classe Mini est un cocktail unique de sport, de compétition, d’aventure, de danger et de solidarité. Impossible à transmettre autrement que par la pratique : la recette n’est connue que de ceux qui font ou qui ont fait la Mini. Une chose est sûre : c’est bien cet « Esprit Mini » qui fait que notre classe tient une place toute particulière dans le monde de la course au large.

 

  • Dégât des eaux

Notre peloton de tête empanne devant le DST de Lisbonne (Dispositif de Séparation de Trafic, la zone interdite réservée aux cargos) et reprend le large, direction les Canaries.
A la tombée de la nuit, dans un surf qui finira à presque 18 nœuds (cela restera mon record de vitesse sur le bateau) mon schnorkel de ballast remonte avec la pression de l’eau et sort de son logement. Un geyser d’eau se forme et commence à remplir le bateau. Dans le bruit général je ne m’en rends finalement compte qu’avec le changement du comportement du bateau dans les vagues suivantes. Je mets le pilote et passe une tête dans la descente. A l’intérieur : 30 centimètres d’eau partout. Je rentre et immédiatement je remets le schnorkel dans son trou et commence à vider l’eau. Ma première crainte concerne les batteries qui se trouvaient en dessous du niveau de l’eau. Heureusement elles tiennent le coup, sans quoi j’aurais été obligé d’abandonner la course.
A l’inverse, les câbles de la pile à combustible (mon principal moyen de recharge) prennent l’eau et empêchent son fonctionnement. Malgré mes efforts, je n’ai jamais réussi à la remettre en marche.
Pour charger mes batteries jusqu’aux Canaries il ne me reste uniquement mon panneau solaire de 45W, soit environ un tiers de la puissance nécessaire pour couvrir les besoins nominaux du bord. Cela m’a forcé à barrer en moyenne plus de 20 heures par jour sur les quatre derniers jours. Cette avarie tombe au plus mauvais moment car si j’avais beaucoup dormi jusqu’en Espagne en prévision de ce qui nous attendait le long de la péninsule Ibérique, je me suis mis volontairement en dette de sommeil car c’est dans le vent fort que les écarts se créent. Je comptais justement sur les conditions plus calmes que nous avons ensuite rencontrées pour récupérer. C’est raté
Tous les jours à 10.03 UTC c’est atelier prise de notes pour les prévisions météo et le classement.
Parfois on sourit, parfois on pleure ! 

Le peu d’énergie électrique emmagasiné par le panneau me servait à mettre le pilote pour dormir environ 2 heures (toujours par tranches de 17 minutes) et à prendre la vacation journalière. Trop prudent au début par rapport à mes batteries (une décharge trop importante est irréversible), je n’ai en fait pas dormi du tout la première nuit. C’est à la suite d’hallucinations assez étranges que j’ai réussi à trouver la dose minimum de sommeil nécessaire à ne pas me mettre en danger, tout en préservant les batteries du bateau.
Depuis le Portugal je n’ai donc pas vraiment pu rivaliser à armes égales avec les concurrents car j’ai coupé quasiment tous mes instruments pour économiser de l’énergie : pas de GPS principal, pas de VHF, pas d’AIS et pas de baromètre.
Pour ne rien arranger j’ai fait une grosse erreur stratégique au niveau de ma trajectoire à partir de Madère en m’éloignant trop loin de l’anticyclone des Açores. Ajoutez à cela un skipper à bout de force qui ne barre pas droit : pas facile !

Logiquement je n’ai fait que perdre des places..

 

« L’horizon, c’est loin… »
J’arrive finalement en neuvième position à Lanzarote, le 27 septembre à 05 heures locales après sept jours et demi de course. A l’arrivée au ponton je suis tellement fatigué (et à vrai dire un peu submergé par l’émotion) que je rate mon saut entre le bateau et le ponton. Je m’écorche assez profondément les deux pouces qui se mettent à saigner abondamment. Cela me vaudra un passage par l’hôpital le lendemain. Croyez moi quand je vous dis que cette première étape aura été une véritable aventure jusqu’au bout!

 

Soulagement à l’arrivée après 4 jours épuisants depuis le Portugal. Un super accueil par les autres coureurs dont Vincent Grison, 7ème de l’étape.
(Photo Jacques Vapillon)

 

  • Merci à tous !

 

Une partie de la Team 630

à mon départ du ponton de Douarnenez.

(Photo Pierre d’Estais)
Un grand grand merci à toute la Team 630 au départ de Douarnenez : Thomas (Shore Team Manager), Victor, ma mère, mon père, mon grand père, Amélie, Benoit, Jennifer, Pierre-Henri, Tiphaine, Mathieu, Laure, Francois 1, Edouard, Elise 1, Christian, Alice, Eric, Elise 2, Phil, Marc & Mireille, Pierre, Catherine, Francois 2, Mathilde et Claire!
Mention spéciale pour le comité d’accueil sur le zodiac à l’arrivée : Julie, Thomas, Papa, Davy (vainqueur de l’étape), Aurélia, Gwen, Caroline et Catherine ainsi qu’à tous les concurrents sur le ponton…
Un grand merci également à tous ceux qui m’ont envoyé des messages d’encouragement et de félicitations à l’arrivée, cela m’a beaucoup touché. Je vous réponds au compte-goutte

et donc cela prend du temps !
Pouces abimés mais levés pour l’arrivée du coloc’, Edouard Golbery, 8eme des bateaux de série. Bravo à lui !
(Photo Caroline Pommeret / Classe Mini)

Rendez-vous le 31 Octobre pour le départ de la seconde étape

et la vraie traversée de l’Atlantique!

2015-10 NL 77