« Ces papiers, ces parchemins laissés là depuis longtemps, ne demandaient pas mieux que de revenir au jour. Ces papiers n’étaient pas du papier, mais des vies d’hommes… » Jules Michelet.

Parmi la montagne de papiers des archives du Cercle de la Voile de Paris, se trouve un très vieil album de photographies aux pages cartonnées et à la tranche dorée.
C’est l’un de ces ouvrages relié de cuir où l’on retrouve des visages familiers, ceux des grands-oncles ou des arrières-arrières-grands parents.
Dans celui-ci, nuls petits garçons aux cerceaux, ni dames corsetées et encore moins de jeunes filles en crinolines. Des messieurs, uniquement.
Ils portent chapeaux melons ou hauts de forme, fument la pipe, sont parfois accompagnés de petits chiens, mais le plus souvent ils arborent des casquettes de yachtmen. Ce sont les sociétaires du CVP.

La première page montre les portraits officiels que l’on retrouve dans un article du Monde Illustré d’octobre 1892. Président, président d’honneur, vices-présidents, secrétaire, trésorier, grâce au journal, les inconnus ne le sont plus, on met des noms sur les visages et on écrit l’histoire du Cercle.
La photocarte de Gustave Caillebotte manque. Un admirateur l’aura empruntée.
Tout au long des pages, défilent les frères Mors, le cartographe Raoul Vuillaume, Édouard Mantois le maître-verrier et tous ceux qui ont organisé les régates du bassin d’Argenteuil au temps des Impressionnistes.
Sur le dernier feuillet, collée directement sur le carton décoré de feuillages par Frépont, la photo du club-house.
Souvent décrit comme étant un ponton flottant amarré à la berge, le pavillon du Cercle est en fait une jolie maison de briques rehaussée de bossages et au toit à quatre pentes.

Sur la photographie de l’album, sans doute la dernière prise au Petit-Gennevilliers, le président Schlatter pose devant le mât de pavillons. On imagine qu’il vient de rendre les clés au propriétaire. Il a peut-être déjà signé le bail du terrain des Mureaux. On régate maintenant plus loin, en aval, vers la Normandie.
Le nouveau plan d’eau est prometteur, plus grand, mieux disposé aux vents.
Ils ont tous hâte d’y aller, les messieurs de l’album. Tous?
Qu’en pensait Gustave Caillebotte ? Il avait régaté quatre ou cinq fois aux Mureaux, participé au dessin du nouveau club-house de type bungalow hindou qui rappelle les villas de Trouville, mais aimait-il ce nouveau lieu, lui qui s’était organisé son jardin au Petit Gennevilliers ?
Nous ne le saurons sans doute jamais.
En 1900, la nostalgie de l’endroit avait pris un nouveau membre du CVP : Lucien Marcou.
L’homme s’était mis dans les pas de Caillebotte à la fin de l’année 1897. Premier bateau acheté, sitôt baptisé Iris, comme le clipper de Gustave à ses débuts.
Il avait financé plusieurs constructions de racers dont le célèbre Un tonneau Bélouga, vainqueur de la première édition de la One Ton Cup, créé une série de dériveur, le Monotype d’Asnières-Argenteuil et le club du même nom, basé près du chantier Luce, à deux pas de chez Gustave. Durant toute sa vie de yachtman, Lucien Marcou avait été l’heureux armateur d’une cinquantaine de yachts dont Lulu qui navigue toujours.
Le plus insolite, en 1900, il avait loué l’ancien club-house du CVP, et l’avait baptisé Sporting Villa. Un mât de pavillons se dressait à nouveau parmi les arbres de la berge.
Était-ce pour faire revivre un peu les temps heureux du Cercle au Petit Gennevilliers? Qui sait?

En 1910, la crue de la Seine a tout balayé. Il nous reste les tableaux des peintres, leurs histoires et le souvenir d’un de nos plus célèbres vice-président, Gustave Caillebotte.
À demain…