Le 18 mars 1883, juste après le déjeuner, le jeune Gaston Bruelle rassemblait son matériel de peintre et s’installait sur le ponton du loueur de canots, au Petit Gennevilliers, à l’abri du vent.
Il venait de décrocher une commande du journal Le Yacht, 8 dessins à fournir pour illustrer les régates de la Seine et de Normandie.
Le premier rendez-vous était aujourd’hui. Il était à pied d’œuvre.
Il soufflait ce jour-là une petite brise d’Est à Sud-Est assez désagréable, les membres du Cercle trainaient dans les salons du premier étage. Peu d’inscrits à la course, le mauvais temps de la semaine avait dissuadé la plupart des habitués.
La course d’ouverture de la saison était dédiée aux bateaux de la première série, les petits clippers, gréés d’immenses houaris.
Étaient en lice: Galathée à Mr Taskin, le frère du chanteur de l’Opéra Comique, mais il ne s’était pas présenté. Puis Volubilis à Ferdinand Schlatter et Flub, le nouveau bateau de Lamy et Mantois.
Il était prévu 5 tours de petite piste. Gaston avait face à lui la bouée d’amont. Les bateaux la prendraient à babord, il était parfaitement placé pour le spectacle.
Et quel spectacle !
Dès qu’Émile Jeanfontaine eut donné le départ, Volubilis et Flub se mirent à la lutte.
Pendant 2 heures les deux embarcations avaient toujours été beaupré sur poupe et ne s’étaient jamais éloignées de plus de cinquante mètres l’une de l’autre.
Ferdinand Schlatter avait remporté la course de 30 secondes d’avance seulement.
Le dessin n’a finalement pas été publié, mais à la suite de cette journée, Gaston a réalisé dans son atelier un fort joli tableau. Trois semaines plus tard, il l’offrait au Cercle.
Le tableau est réapparu dans une galerie, il y a une dizaine d’années et il est maintenant visible au musée de la Marine à Paris.
En 1883, le CVP comptait 254 membres et 176 bateaux. 39 courses avaient été données dans l’année.
Lorsque le tableau de Bruelle a intégré les collections du musée de la Marine, un avis de recherche a été lancé. Quels étaient ces bateaux et qui était à bord?
C’est un détail d’accastillage qui a donné la solution.
Bruelle avait pris soin de dessiner l’une des mains courantes de Volubilis, blanche et bien visible, juste au milieu du tableau.
Il a été facile ensuite, grâce à la direction du vent et au nombre de bateaux de retrouver la date et les participants.
Une photographie, miraculeusement arrivée jusqu’à nous, décrit l’original Volubilis.
Le bateau, un clipper à dérive faisait environ 7 mètres de long.
On découvre un minuscule cockpit pour le barreur. Aux équipiers équilibristes de s’accrocher comme ils pouvaient à ces fameuses mains courantes.
Ferdinand Schlatter, homme réputé bourru, à la grosse moustache rousse et à la voix rocailleuse a veillé sur Verveine, Volubilis et Sensitive. Un président romantique.
Les marins sont souvent superstitieux. Aujourd’hui, vendredi, il n’est pas conseillé de mettre un bateau à l’eau.
Donc coque au sec pour ce numéro 13.
Voir le tableau original : https://mnm.webmuseo.com:8443/…/app/collection/record/9659