Le voilà Émile Lamy, l’un des proches de Gustave au Petit-Gennevilliers.
Parce qu’il s’agit bien d’Émile, le fabricant de chaussures et non d’Eugène le peintre, ni même d’Édouard, comme on le lit parfois dans les livres.
Lorsqu’il entre au Cercle de la Voile de Paris en 1872, Émile Lamy a 28 ans. Il est inscrit comme industriel et fabricant de chaussures, boulevard de la Chapelle à Paris.
Il est rapidement intégré à l’équipe du Jury des Courses et il y siégera très longtemps, jusqu’à être nommé membre honoraire du CVP en 1919.

Quand les Caillebotte et leurs amis sont arrivés au Cercle, il les a pris sous son aile.
Gustave et lui ont été vite copains. Il est fort possible qu’Émile lui ait appris les ficelles du métier ou comment jouer avec les règles de courses.
Excellent régatier, c’est peut-être lui qui a entraîné ces p’tits bleus au sport de la Voile durant l’été 1879.
Là est encore un mystère à élucider: comment Gustave Caillebotte est-il passé en quelques semaines, d’apprenti voileux à régatier passionné?
Émile Lamy y serait-il pour quelque chose?

Le premier registre du Jury des Courses du CVP est plein des signatures de Lamy.
Au fil des ans, Émile tranche, décide, statue. Puis on voit apparaître à partir de 1880, les noms de Brault, Jeanfontaine et Caillebotte, Martial est nommé mesureur. Il jauge.

S’il est très présent dans le registre du côté des arbitres, Émile apparaît parfois de l’autre côté de la barrière. Lorsqu’il court, cet homme impartial est capable de jouer un numéro d’acteur formidable, comme ce dimanche d’avril 1881 où, pris sur le fait d’avoir été aidé au départ par le mousse et le marin de Gustave, il nie l’évidence.
On peut lire: « Mr Lamy, qui était dans le Condor, déclare ne s’être aperçu de rien… » Mantois, qui l’équipait ce jour-là n’avait rien remarqué non plus!

Si la compétition était sérieuse, le bassin d’Argenteuil était aussi un magnifique théâtre où se produisaient les bateaux.
À Paris, certains messieurs avaient leurs danseuses à l’Opéra, ceux du Cercle de la Voile rencontraient les leurs le dimanche, et le bal débutait à 1 heure de l’après-midi. Ils n’y étaient plus pour personne.

Elles portaient de jolis noms leurs demoiselles. Les plus petites étaient affublées de noms d’oiseaux ou d’insectes, Fauvette, Courlis, Eider ou Libellule. Celle des débuts d’Émile s’appelait Almée, comme une danseuse orientale. Alors les jours où elle croisait le Simoun, que pouvaient-ils imaginer…
Quant à celles des grandes séries, leurs noms ne figuraient jamais sur la même affiche des théâtres, mais à Argenteuil on pouvait voir Aïda doubler Carmen et Galathée forcer le passage à la belle Saïnara.
Suivant les présidents du jury, les dépositions du registre prenaient parfois des allures comiques: « Embrochage du Héron par Marguerite, près de la bouée d’amont »; ou parfois plus délicates: « Il paraîtrait que Lison, dans son premier tour près de la berge de Colombes, aurait touché la toile du Faune du bout de son beaupré ».
Quel programme !

Émile Alfred Lamy est né en 1843, d’un père bottier dans la Nièvre.
Gustave Caillebotte a été l’un de ses témoins de mariage. Il a réalisé deux portraits de lui, et d’autres de sa fille Blanche.
Émile et Gustave sont représentés tous les deux sur le tableau Bords de Seine en hiver, peint en 1893.
Émile porte souvent ce calot qu’on pourrait croire hollandais. Les habitants du Petit-Gennevilliers sont coiffés d’étranges chapeaux!