Le tableau aurait dû s’appeler Autoportrait au bateau ou Portrait de Roastbeef. La régate n’est pas là, pas de flamme rouge en haut du mât, signe que le yacht est en course.
C’est un portrait de Roastbeef que Gustave nous présente sous son bord le plus flatteur. Le seul parmi toute sa production. Il a peint nombre de bateaux, au mouillage, naviguant en groupe et vus de loin, les siens ou ceux de ses amis, mais de bateau sous voiles, en entier, bien décrit, à part celui-ci, il n’en existe pas d’autres.
Caillebotte l’impressionniste n’est pas un « peintre du bout de la jetée », comme les Adam du Havre qui nous ont légué les visions les plus fidèles de navires.
Le portrait de bateau était un genre à part entière. Il est curieux que Gustave n’ait pas voulu conserver plus de témoignages de ses créations.
Leurs plans étaient rangés dans des tiroirs et leurs silhouettes sur la Seine n’étaient que des impressions que l’on a parfois du mal à deviner.
À la fin de l’année 1889, après ses nombreuses expériences et les récentes collaborations avec Chevreux, il se lance.
L’architecte trace des courbes, se concentre sur les lignes d’entrée d’eau, sans passer par la fabrication de demi-coques. Ce qui l’intéresse, c’est l’équilibre entre les contraintes techniques et la l’harmonie des formes.
L’hiver 1889/90 voit la naissance de la série des 30m2 CVP. Caillebotte impose la formule de la surface de la voilure.
Ses amis s’adressent directement à lui pour les plans de leurs bateaux.
Moucheron, Antoinette, Sauterelle, Vol au Vent puis Arico au mât singulier.
Gustave est sur tous les fronts. Il dessine, peint, plante. Participe à la création de l’Union des Yachts Français, discute des règlements de courses. Quelle énergie !
Les derniers nés des 30m2 sont Lézard et Roastbeef. Les plus aboutis et les plus performants.
Curieusement, Caillebotte équipera Roastbeef d’un gréement de crevettier avec misaine bômée et foc, selon l’idée de Mr Lelaidier, ingénieur au Havre. Malgré cette cette voilure jugée vieillotte et rétrograde par beaucoup, Gustave y verra une façon de gagner de la surface de la voile, en détournant l’esprit de la jauge qu’il avait lui-même dictée.
Ses deux petits bateaux, couronnés de succès à l’époque, ont été reconstruits dans les années 90. L’un à Marseille, l’autre par l’association Sequana. Commencée à Gennevilliers, puis achevée à Chatou, la fabrication a enthousiasmé une formidable équipe.
Éric Tabarly a parrainé le nouveau Roastbeef et un match a été organisé sur la Seine, aux Mureaux, au Cercle de la Voile de Paris.
La lecture du tableau mérite toute l’attention possible.
Le trois-quarts arrière sied particulièrement à la forme de sa coque.
Gustave s’est mis à la barre. Il a multiplié les vues du bateau, au mouillage, au portant, au près.
L’ultime détail est la représentation de son pavillon de propriétaire en tête de mât.
On pourrait croire à un minuscule drapeau français, mais non. Le pavillon de Gustave Caillebotte était composé des mêmes couleurs que le drapeau national, dans le même ordre, mais disposées en diagonale.
La plupart des tableaux et photographies d’archives ne montrent les guidons de courses rouges parfois ornés d’un point blanc qu’en haut des mâts.
C’est une autre façon de signer un tableau, en couleurs, pour se souvenir.